Le Dr Nicolas Herman a publié les résultats d’une étude qui compare les effets de la supplémentation en oligo-éléments (Cu, Zn, Mn, et Se) par voie injectable de veaux allaitants (à la naissance, à 30 jours et à 60 jours d’âge), à une supplémentation orale en sélénium à la naissance déjà couramment répandue dans sa clientèle.
[Interview]
Je dirais qu’il faut d’abord et avant tout considérer l’alimentation dans le cadre d’une médecine de troupeau. Les micronutriments ne sont qu’une partie de la nutrition et des problématiques plus globales se doivent d’être adressées en priorité.
Néanmoins, les micronutriments ont leur importance et jouent en effet un rôle fondamental de par leurs multiples rôles physiologiques. Ils conditionnent la santé et les performances des bovins. S’intéresser à la micronutrition peut permettre de développer une approche préventive de la santé en élevage tant certains d’entre eux (oligo-éléments et vitamines) sont impliqués dans le fonctionnement du système immunitaire et du système antioxydant.
Même s’il convient de régler prioritairement des problèmes alimentaires plus larges (déficit énergétique de la ration par exemple) pour adresser certaines problématiques de santé en élevage, la micronutrition ouvre des perspectives de gestion de l'état de stress dans lequel peuvent se retrouver les animaux au cours des cycles de production et de reproduction.
Elle permettra de limiter le déficit immunitaire et de gérer le stress oxydatif qui se présentent lors de phases critiques d’élevage (stress physiologique, zootechnique ou pathologique).
Le rôle de la complémentation des bovins, notamment en oligo-éléments, n’est plus à démontrer. Des animaux correctement complémentés et supplémentés en micronutriments, c'est une meilleure croissance, moins de pathologies, moins d'échecs vaccinaux2.
Je me suis penché sur une étude menée en 2019, en Nouvelle-Zélande, sur des veaux laitiers supplémentés en oligo-éléments (Cu, Zn, Mn et Se) par voie injectable à la naissance, à 35 jours d'âge ainsi qu'à 70 jours d'âge3. Les résultats semblaient intéressants dans une optique de prévention des maladies et de la mortalité des veaux nouveaux-nés. En effet, le taux de morbidité sur les 140 premiers jours de vie des veaux supplémentés en oligo-éléments par voie injectable était 2 fois moins élevé que celui des veaux n’ayant pas bénéficié de supplémentation. De même pour la mortalité qui était réduite de plus de 50 %.
Ces résultats allaient dans le même sens qu’une précédente publication4, toujours sur des veaux laitiers, cette fois aux Etats Unis. Les veaux qui avaient alors bénéficié d’une injection d’oligo-léments 3 jours et 30 jours après leur naissance étaient moins sujets à la diarrhée (41,7 % d’incidence chez les veaux supplémentés par voie injectable vs 49,7 % pour les veaux non supplémentés), ainsi qu’aux otites et pneumonies (41,6 % d’incidence pour le groupe oligo-éléments par voie injectable vs 49,1 % pour le groupe témoin).
Je souhaitais voir si l'on pouvait observer ces mêmes bénéfices sous nos latitudes, avec nos modèles d'élevages français, en filière allaitante, et plus spécifiquement dans ma région où les carences en sélénium sont connues.
Etant donné que dans ma clientèle, les éleveurs ont déjà pour habitude de recourir à une supplémentation concentrée en sélénium par voie orale des veaux à la naissance, je souhaitais également comparer cette nouvelle voie de supplémentation en oligo-éléments, l’injectable, aux pratiques de supplémentation orale pré-existantes.
L’étude inclut 600 veaux recrutés au sein de 12 élevages de la clientèle (Riom-ès-Montagnes, Cantal). Afin de bénéficier de données chiffrées, toutes les fermes sont adhérentes au programme Bovins croissance (contrôle de performance pour les bovins viande). A la fin de la saison de pâture et avant le démarrage de l’étude, les vaches gestantes étaient complémentées en vitamines (A, D3, E, C et B1), oligo-éléments (Cu, Zn, Se, Co et I).
L’étude a comparé les performances de croissance et les paramètres de santé de veaux supplémentés fortement en sélénium par voie orale à la naissance d’une part (Orosel®, Octavet, France; 1 comprimé administré à la naissance = 20 mg de sélénium), et de veaux supplémentés en oligo-éléments par voie injectable à la naissance, à 1 mois d’âge et à 2 mois d’âge d’autre part ; 3 administrations à J0, J30 et J60, soit un apport total de 20 mg de sélénium, 240 mg de zinc, 40 mg de manganèse, 60 mg de cuivre suite aux 3 injections).
Les animaux ont été suivis sur leurs 210 premiers jours de vie. Le relevé des performances de croissance a été effectué par Bovins croissance à 4 mois et 7 mois d’âge. Pour les paramètres de santé ayant fait l’objet d’un suivi : les diarrhées, les omphalites et les problèmes respiratoires ont fait l’objet d’un suivi individuel et notés 1 en cas de trouble avéré durant la période de suivi, ou 0 en l’absence de trouble.
Les autres maladies (otites, arthrites, phlegmon interdigital, etc...) étaient contrôlées de la même manière, mais, du fait de leur faible incidence, elles ont été regroupées dans un unique groupe “autres maladies”. Les besoins en fluidothérapie et les recours à un traitement inopiné ont également été enregistrés sur la période.
Le statut nutritionnel en oligo-éléments de chacun des troupeaux a été contrôlé 30 à 45 jours avant vêlage (pool de prises de sang de 10 animaux par élevage) et de nouveau après le vêlage. Le transfert d’immunité passive (prise de colostrum par le veau) a également été évalué entre 2 et 7 jours après la naissance.
Cette étude a permis de confirmer les déficiences en sélénium dont souffrent les troupeaux naisseurs du Massif Central. Ce à quoi nous nous attendions et ce pourquoi - pour des raisons éthiques - nous n’avions pas mis en place de groupe témoin (ne bénéficiant d’aucune supplémentation à la naissance). La supplémentation des veaux nouveaux-nés, que cette supplémentation soit injectable ou orale, se justifie donc totalement.
Dans cette étude, une large majorité des veaux présente un bon transfert d'immunité passive à la naissance, et il n'y a aucune différence entre les deux groupes étudiés (supplémentation orale ou injectable). Ce bon transfert est le synonyme d’une meilleure résilience: en effet on note par contre une forte corrélation entre le degré de Brix mesuré dans le plasma des veaux (°Bx> 8,4 ; reflet de la prise colostrale) et l’incidence des diarrhées, de la mortalité et du recours au traitement antibiotique.
Si l’on s’intéresse maintenant aux différences observées entre les 2 formes de supplémentation en oligo-éléments, on relève une incidence des maladies (toutes pathologies confondues) significativement plus faible chez les veaux ayant bénéficié d’une supplémentation par voie injectable (48 % de morbidité cumulée) que chez ceux ayant été supplémentés par voie orale (59 % de morbidité cumulée). Et en particulier, une incidence significativement plus faible des omphalites pour le groupe supplémenté par voie injectable (11 %) que pour le groupe supplémenté par voie orale (17 %).
En outre, des tendances à une moindre mortalité, à un moindre recours à la réhydratation (orale ou intraveineuse) et à une plus faible utilisation d’antibiotiques ont été relevées chez les veaux supplémentés par voie injectable par rapport aux veaux supplémentés par voie orale. Toutefois ces différences n'étaient pas significatives.
Enfin, aucune différence significative de GMQ n’a été relevée entre les 2 groupes, que ce soit à 4 mois d'âge, ou encore moins à 7 mois d'âge.
La supplémentation des veaux nouveaux-nés en oligo-éléments revêt bien un intérêt quant à leur état de santé.
La forme orale, telle qu’utilisée dans cette étude (sélénium uniquement), présente le bénéfice d’une administration unique et moins invasive que l’injection sous-cutanée.
La forme injectable présente quant à elle les avantages d’une supplémentation en oligo-éléments plus complète (Cu, Zn, Mn et Se), avec l’assurance de la dose administrée individuellement et assimilée en quasi-totalité de manière très rapide. Elle est par ailleurs (très) accessible économiquement pour les éleveurs (environ 0,90€ /ml). Elle constitue donc une vraie alternative à la prévention de phases de stress en élevage telle que la période néo-natale ou le sevrage.
Supplémentation orale |
Supplémentation injectable |
|
Cumul des pathologies |
59% |
48%** |
Omphalites |
17% |
11%** |
Diarrhées |
24% |
22% |
Pneumonies |
12,3% |
13% |
Autres pathologies* |
5,3% |
2%** |
MORTALITÉ |
3,3% |
2% |
RÉHYDRATATION IV ou orale |
44,4% |
36,3% |
TRAITEMENT ANTIBIOTIQUE |
43,3% |
38% |
GMQ1 (4 mois) |
929,1 g/j |
943,6 g/j |
GMQ2 (7 mois) |
1052,1 g/j |
1048,9 g/j |
On constate de meilleurs statuts de santé chez les veaux supplémentés par voie injectable
* Arthrite, coccidiose, septicémie, trachéite, phlegmo interdigité, méningite, fièvre d'origine indéterminée
** Différence significative (p<0,05)
Références :
1. Herman, N., Batard, A., Geollot, S., Devambez, T., Durel, L. (2023). Effect of Injectable or Oral Trace Mineral Supplementation on Beef Calf Health Status and Growth. J Vet Heal Sci, 4(3), 117-127.
2. Enjalbert F, Lebreton P, Salat O. Effects of copper, zinc and selenium status on performance and health in commercial dairy and beef herds: Retrospective study. J Anim Physiol Anim Nutr (Berl). 2006 Dec; 90 (11-12) : 459-66.
3. Bates A, Wells M, Laven RA, Simpson M. Reduction in morbidity and mortality of dairy calves from an injectable trace mineral supplement. Vet Rec. 2019 Jun 1; 184 (22) : 680.
4. Teixeira AG, Lima FS, Bicalho ML, Kussler A, Lima SF, Felippe MJ, Bicalho RC. Effect of an injectable trace mineral supplement containing selenium, copper, zinc, and manganese on immunity, health, and growth of dairy calves. J Dairy Sci. 2014 Jul ; 97 (7) : 4216-26.