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Le colostrum conditionne la carrière de l'animal [Elevage bovin]

Dr Sébastien Buczinski
Docteur vétérinaire DÉS, MSc, DACVIM Clinique ambulatoire FMV Saint-Hyacinthe (Université de Montréal, Canada)

Sébastien Buczinski, docteur vétérinaire, professeur à l’école vétérinaire de St-Hyacinthe au Québec, met en avant l’importance du colostrum sur la carrière de génisses laitières. Il s'appuie sur les résultats d’une étude¹ qui démontre l’impact positif de l’augmentation du volume de colostrum distribué au veau dans les premières heures de vie sur ses capacités de productions futures.

Vous avez la parole...

Dr Buczinski, pourriez-vous nous expliquer l’étude de Faber et al, 2005¹ ?

Cette étude a évalué l’importance du colostrum reçu par un veau nouveau-né sur sa future carrière de vache laitière. Elle a comparé les performances de veaux recevant, lors de leur première buvée, des volumes différents d’un colostrum de bonne qualité: soit 2 Litres, soit 4 Litres. Les conséquences sur le démarrage des génisses, le Gain Moyen Quotidien (GMQ), l’âge du premier vêlage et la production laitière en première et seconde lactations ont été mesurés.

Le démarrage s’est déroulé de manière similaire dans les 2 groupes, avec environ le même nombre de veaux malades: 8 sur 37 veaux dans le groupe nourri avec 2L de colostrum (groupe 2L) et 5 sur 31 veaux dans le groupe nourri avec 4L de colostrum (groupe 4L). Les coûts vétérinaires associés étaient cependant inférieurs dans le groupe 4L (14,43 € vs 23,94 €).

Les résultats les plus intéressants de cette étude concernent la croissance et la carrière des animaux. Durant les 500 premiers jours de vie, une amélioration significative du GMQ de 0,23 kg a été constatée dans le groupe 4L (GMQ de 1,03 kg) par rapport au groupe 2L (GMQ de 0,8 kg). L’âge au premier vêlage n’a pas été impacté, en revanche la production laitière a augmenté de manière substantielle. Au cours de la première lactation, le groupe 4L a produit 955 kg de plus en moyenne par animal que le groupe 2L, et cette différence s’est encore accrue en seconde lactation, atteignant 1652 kg (9642 ± 341 kg et 11294 ± 335 kg, respectivement (P < 0.001)).

Il est également intéressant de noter que 9 vaches sur 37 dans le groupe 2L ont été réformées avant la fin de la deuxième lactation, contre 4 vaches sur 31 dans le groupe 4L (Figure 1).

 

citation3.pngL'augmentation du volume de colostrum distribué au veau à la naissance améliore les performances.

 

 

Quels sont les éléments qui permettent d’éclairer ces résultats, notamment l’impact sur la carrière de l’animal ?

Le premier facteur essentiel que traduit cette étude est l’importance de la quantité de colostrum administré dans les premières heures de vie. L'augmentation du volume de colostrum distribué au veau à la naissance améliore les performances. Outre les immunoglobulines, le colostrum contient également d’autres éléments: les facteurs de croissance. Ce sont des messagers chimiques qui agissent sur le développement des organes, et notamment sur le développement de la glande mammaire.

Le colostrum frais possède également une composante cellulaire. La présence de cellules du système immunitaire et l’émission de cytokines associée constitueraient également un élément essentiel pour guider le développement du système immunitaire du veau.

 

Quantité de colostrum distribué aux veaux (L)

2

4

Δ

Nombre de veaux tombés malade

8/37

5/31

 

Coût vétérinaire moyen par veau (€)

23,94

14,43

x 0,6

Gain Moyen Quotidien (GMQ) moyen sur les 500 premiers jours (kg)

0,8

1,03

+ 0,23

Quantité de lait moyen produit en 1ère lactation (kg)

8 952

9 907

+ 955

Quantité de lait moyen produi en 2ème lactation (kg)

9 642

11 294

+ 1 652

Nombre de vaches réformées avant leur 2ème lactation

9/37

4/31

x 0,45

Figure 1 : Impact de la quantité de colostrum distribué sur la carrière de génisses laitières (Faber et al. 2005)

 

Quels sont les paramètres clés d'une bonne gestion du colostrum ?

Le moyen mnémotechnique utilisé dans les pays anglophones est celui des 4Q: Quickness, Quantity, Quality et Qualitative control assessment.

Quickness, la rapidité : durant les premières heures de vie du veau, la barrière digestive est plus perméable. Le colostrum ingéré durant les quatre premières heures jouera un rôle beaucoup plus protecteur que la même quantité, du même colostrum, absorbé quelques heures plus tard. Le taux d’anticorps contenu dans le colostrum baisse aussi très rapidement. 8 heures après vêlage, il a déjà chuté de 25 à 30 %.

Quantity, la quantité : 4 litres pour un veau laitier de 45 kg. Ce sont les recommandations actuelles. Un veau doit recevoir au minimum l’équivalent de 10 % de son poids en litres de colostrum à la naissance. Cela permet de couvrir dans la plupart des cas, l’apport des 150 à 200 g d’IgG nécessaires.

Quality, la qualité : ce paramètre est évalué selon la concentration en IgG du colostrum. On considère qu’un colostrum de vache laitière est de bonne qualité lorsqu’il contient au minimum 50 g d’IgG par litre. La teneur en grammes par litre d’Immunoglobuline G est le paramètre officiel.

Dans la pratique, l’outil de mesure le plus fiable et le plus adapté à la mesure quotidienne est le réfractomètre optique de Brix.

Qualitative control assessment, la validation ou contrôle qualité : Il faut trop souvent attendre une problématique apparente pour s’intéresser à la qualité du colostrum des animaux. Un suivi régulier tout au long de la période des vêlages permet pourtant de détecter précocement tout changement pouvant avoir des conséquences sur la santé des veaux et leur futur. Les mesures doivent se faire régulièrement et s’insérer dans la routine de l’éleveur : tout comme le nutritionniste vérifie la ration chaque année, la qualité du colostrum est susceptible de varier d’une année à l’autre, ainsi qu’au cours de l’année.

On évoque aussi de plus en plus la contamination bactérienne et ses conséquences sur le colostrum.

 

citation3.pngDe la traite à la tétée, le nombre de bactéries peut être multiplié par 100 000.

 

 

 

Quel est l’impact de la contamination bactérienne sur la qualité du colostrum ?

Le colostrum est un très bon milieu de croissance, il est donc propice au développement microbien. De la traite à la tétée, le nombre de bactéries peut être multiplié par 100000. Lorsque la contamination est importante, le colostrum devient un vecteur de pathogènes, avec cependant une grande variabilité d’une exploitation à l’autre.

Plus le comptage microbiologique dans le colostrum augmente, moins les anticorps sont biodisponibles. En effet, les anticorps liés aux bactéries présentes dans le colostrum ne peuvent plus être absorbés par les entérocytes. Ainsi, plus le colostrum distribué au veau est contaminé, moins le Transfert d’Immunité Passive (TIP) sera efficace.

Pour prendre en compte le facteur contamination sur le transfert d’immunité passive, la mesure de la qualité du colostrum doit se faire sur un colostrum prêt à être ingéré par le veau. Une mesure au pis ne donnera pas le même résultat qu’une mesure effectuée sur un colostrum prêt à boire. Surtout lorsque le colostrum reste quelques heures à température ambiante, après avoir circulé dans une machine à traire de propreté parfois douteuse, et après avoir été transvasé dans un biberon à la propreté tout aussi suspecte.

 

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Prélever et distribuer le colostrum dès sa naissance, c’est déjà se préoccuper de la carrière du veau

 

Comment la gestion des vaches taries impacte-t-elle le colostrum ?

Pour les troupeaux avec un bon suivi nutritionnel, lorsqu’il n’y a pas de carence notable, il n’y a en général pas de souci de qualité colostrale. Par contre, lorsqu’il n’y a pas de suivi, dans certaines régions du Québec, on peut observer des déficits en vitamine E et sélénium sur les vaches taries.

Cela peut se traduire par des problèmes d’état de chair des vaches, un engraissement en fin de tarissement, et des problématiques en péri-partum, telle que des rétentions placentaires. Dans ce cas de figure, il y a fort à penser que la qualité colostrale sera également impactée.

 

Quels sont les axes de progrès concernant la préparation au vêlage ?

Il est essentiel d’adapter en permanence la ration en fonction du fourrage. Il y a souvent une variation de composition entre l’ouverture d’un silo et la fin de son utilisation, notamment au niveau des vitamines : une dégradation est observée au cours du temps. On peut donc suspecter des carences subcliniques de différents éléments.

Ceci se vérifie principalement sur les animaux en régime foin sec + ensilage, qui n’ont pas d’accès au pâturage. Dans ce contexte, l’utilisation de vaccins contre les agents d’entérites néonatales et d’une supplémentation des mères augmente de manière significative les chances d’avoir tout de même une bonne protection du veau.

 

Les éleveurs sont-ils sensibilisés à une bonne gestion du colostrum (mesure au réfractomètre, mesures d’hygiène, conservation...) ou y a-t-il encore du progrès à faire ?

En 2010, une étude rapportant les pratiques d’une centaine d’éleveurs du Québec indiquait que 5 % des élevages utilisaient un réfractomètre. Aujourd’hui, 10 % des éleveurs l’utilisent, principalement pour vérifier la qualité du colostrum avant de le congeler. Pour ce qui est de la gestion et de la conservation du colostrum, des progrès peuvent être réalisés.

Des protocoles de congélation/conservation/réchauffage adaptés doivent se traduire par une diminution du degré Brix mesuré de -1 % au maximum. Conserver le colostrum dans des sachets plats au lieu de biberons pour faciliter la décongélation, ne pas dépasser une période de conservation de 6 mois, et effectuer une décongélation au bain-marie à 46-48 degrés, sont des adaptations simples permettant d’améliorer la gestion du colostrum.

 

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Tableau 1 : conversion entre % Brix lu au réfractomètre optique et la concentration en IgG du colostrum (Bielmann et al. 2010)

 

Connaissez-vous COQC ?
[DOSSIER] Conseil et Observatoire de la Qualité Colostrale (COQC)

[DOSSIER] Conseil et Observatoire de la Qualité Colostrale (COQC)

Dans le but d'améliorer la santé des veaux, ce projet novateur a pour objectif de nourrir le lien qui unit vétérinaires et éleveurs au travers de suivis colostraux.

Références bibliographiques :

1. Etude Case Study: Effects Of Colostrum Ingestion on Lactational Performance