« Un taux élevé de protéines favorise le développement ultérieur de maladie rénale » ? Rien ne permet de l’affirmer.
Plusieurs études témoignent de la très bonne tolérance rénale des chats sains à des niveaux élevés de protéines1-4.
Un régime riche en protéines induit une augmentation de la pression glomérulaire et une augmentation du débit de filtration glomérulaire (DFG)5. L’hyperfiltration rénale est un phénomène adaptatif normal6 mais cela a conduit à affirmer à tort que « les protéines fatiguent les reins ».
La restriction protéique a alors été envisagée comme un moyen de diminuer la pression capillaire glomérulaire et l’hyperfiltration associée. Chez le rat néphrectomisé, cette stratégie permet en effet de limiter la protéinurie, de ralentir la dégradation de la fonction rénale et la progression des lésions7,8. Ces observations ont abusivement été extrapolées au rat sain alors que rien d’anormal n’a été relevé dans une étude de 2 ans chez des rats nourris avec 60% de protéines9.
Les résultats obtenus sur le rat néphrectomisé ont donné lieu à des recommandations nutritionnelles visant à restreindre « préventivement » la consommation de protéines chez le chat, alors que la physiologie de ce dernier est complètement différente.
Un régime riche en protéines modifie le profil biochimique chez un individu sain : une augmentation de l’urémie et une baisse de la créatininémie peuvent être observées, les valeurs restant dans les normes physiologiques.
Le taux de formation de l’urée dépend du catabolisme azoté : l’urémie augmente parallèlement à la consommation de protéines. L’urée est filtrée passivement par les reins et son élimination ne les « fatigue » donc pas. L’urée exerce un effet diurétique osmotique et crée un appel d’eau vers le fluide tubulaire. La consommation d’eau et la quantité d’urine éliminée sont donc plus importantes chez les chats qui consomment beaucoup de protéines.
A la différence de l’urée, la créatinine n’est pas réabsorbée par les reins. Lorsque la consommation protéique augmente, la filtration rénale s’accélère et entraîne une légère diminution de la créatininémie.
Suffisamment de protéines doivent être fournies pour empêcher le catabolisme des protéines endogènes, responsable de malnutrition et d’une exacerbation de l’azotémie. Ceci est particulièrement vrai chez le chat âgé.
La compilation d’études réalisées sur plusieurs centaines de chats de plus de 12 ans révèle que ces chats perdent plus de 100 g de masse maigre par an et un déficit protéique risque d’accélérer cette fonte musculaire liée à l’âge10. Inversement, la fonte musculaire peut être prévenue par l’enrichissement en protéines de l’alimentation11,12.
Le maintien d’une composition corporelle idéale avec un pourcentage élevé de masse maigre contribue à maintenir un bon niveau d’activité et d’interactions avec l’environnement et les propriétaires, et cela contribue finalement à une meilleure qualité de vie du chat10.
L’effet positif potentiel d’une restriction protéique sur la progression de la maladie rénale n’a jamais été montré chez le chat : la restriction protéique n’atténue ni l’hypertension glomérulaire, ni l’hypertrophie, ni l’hyperfiltration13.
Lorsque l’insuffisance rénale se déclare cliniquement, jusqu’à 75% des néphrons peuvent déjà être perdus. A partir du stade III de la classification IRIS, les signes cliniques du syndrome urémique sont évidents et la prise en charge alimentaire vise essentiellement à limiter l’azotémie et à réduire les signes cliniques associés14.
Il convient alors de trouver le compromis entre la nécessité de minimiser l’azotémie tout en limitant le risque de carence protéique dont les effets délétères sont reconnus (hypoalbuminémie, anémie, perte de poids, perte de masse maigre, baisse d’immunité…)15.
Ajuster l’apport protéique impose l’utilisation de protéines de valeur biologique maximale, afin de minimiser les risques de déficit en acides aminés indispensables, en particulier l’arginine pour son intervention dans le cycle de l’urée16.
Un excès de phosphore peut aggraver le dysfonctionnement rénal chez des chats atteints de maladie rénale et il peut même altérer la fonction rénale chez des chats en bonne santé17. A l’inverse, la restriction alimentaire en phosphore permet de ralentir la progression de la maladie rénale chez le chat18,19.
Pour limiter le phosphore alimentaire sans forcément limiter l’apport protéique, il est primordial de veiller à la qualité des protéines.
Non seulement des teneurs élevées en protéines ne sont pas dangereuses, mais elles sont indispensables et profitables à la santé du chat, tout au long de sa vie. Chez un chat présentant un début de développement de maladie rénale chronique, la restriction en phosphore doit précéder la restriction protéique.
Références
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4. Leriche I., et al, “Two year-follow up of renal function in adult cats fed a high protein diet”, Southern European Veterinary Conference (SEVC) Séville, 7-9 novembre 2019 Proceedings,
Synthèse de l'étude Suivi de la fonction rénale chez des chats recevant un régime riche en protéines : Deux ans de consommation d’un aliment contenant 46 % de protéines (sur EM) n’ont pas altéré la fonction rénale des chats.
5. Van Slyke D.D., et al, “The relationship of the urea clearance to the renal blood flow”, Am. J. Physiol., 1934, 110 : 387-391.
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7. Wilson H.E., et al. “An investigation of the cause of renal hypertrophy in rats fed on a high protein diet”, Biochem. J .,1933, 27 : 1348.
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10. Perez-Camargo G., et al, “Feline decline in key physiological reserves: implications for mortality. Focus on gerontology”, Companion Animal Nutrition Summit, 2010 : 6-13.
11. Sparkes A.H., et al, “Feeding old cats-an update on new nutritional therapies”, Top. Companion Anim. Med., 2011, 26 : 37-42.
12. Laflamme D.P., et al, “Effect of diet on loss and preservation of lean body mass in aging dogs and cats”, Companion Animal Nutrition Summit, 2018, Charleston, South Carolina : 41-46.
Synthèse de l'étude Effets du régime sur la maisse maigres des chiens et chats vieillissants : Un haut niveau de protéines aide à lutter contre la sarcopénie chez l’animal âgé.
13. Finco D.R., et al, “Protein and calorie effects on progression of induced chronic renal failure in cats”, Am. J. Vet. Res., 1998, 59 : 575-582.
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15. DiBartola S.P., « New insights on renal disease in cats: Part II (clinical management)”, Proceedings of the Southern European Veterinary Conference 2011, 29 Sep-2 Oct, Barcelona, Spain.
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